L’argenté tendit une main sur le côté de son lit pour éteindre le bruit strident du réveil. Le cadrant digital affichait 7 :00. Pourquoi si tôt ? Une vieille habitude de sa vie d’avant qu’il n’avait pas perdu. Il poussa un grognement peu chaleureux ; l’odeur de tabac froid emplissait la pièce, lui donnant la migraine. Il aurait dû ouvrir la fenêtre cette nuit ou fumer sur le balcon, mais depuis ce fameux jour où un homme avait parlé de la vérité sur Anadran, il avait passé son temps à essayer de rechercher des choses sur lui, pour le retrouver. Alors il ne prenait plus la peine de quitter son lit pour aller fumer, il se contentait d’écraser ses mégots dans une canette vide.

Néanmoins, lorsqu’au bout d’une heure l’odeur lui devint vraiment trop insupportable, il décida d’ouvrir la fenêtre pour aérer son studio et prendre une bouffée d’air frais et sain. Il prêta rapidement attention à la vue qui s’offrait sous ses yeux ; il y’avait les rares passants qui se pressaient dans les quartiers aux alentours, cette jeune femme s’asseyant contre le mur d’en face, ce chat naviguant sur les toits aussi à l’aise que s’il était au sol. En somme, rien de vraiment anormal. Alors il quitta la fenêtre pour venir s’asseoir sur son lit et continuer les recherches, ouvrant une nouvelle canette de soda pour se remettre les idées en place. Deux heures passèrent ainsi avant qu’il ne se décide à sortir un peu pour racheter du soda et un paquet de clope, et puis aussi pour fouiller un peu la ville. Ce type était forcément là, quelque part. Restait à savoir où.

Xerces boutonna sa chemise tout en glissant ses pieds dans ses bottines en cuir, terminant ensuite sa canette avant de l’écraser, la jeter dans un coin de la pièce et prendre ses clefs pour sortir. Il s’étira et referma la porte derrière lui, descendant les étages qui le séparaient de la rue. Il poussa la porte de l’immeuble et fronça légèrement les sourcils, inquisiteur. Pourquoi la jeune femme était toujours là depuis ce matin ? Oh et puis après tout, ce n’était pas ses affaires. Elle devait simplement attendre quelqu’un. Sur cette déduction, il enfonça ses mains dans ses poches et décida de prendre la route du quartier est.

Ah, c'était lui. Et dans un sens, Rodrakaset pensait, heureusement que c'est lui. Elle commençait déjà à en avoir marre d'attendre, alors que ça ne faisait que deux petites heures à peine qu'elle était là. Pourtant, il y a des jours, où elle est obligée de poireauter toute une journée. Enfin, vivons au jour le  jour, comme disent si bien certains... Pour en revenir à nos moutons, c'était lui. On le reconnait facilement avec ses cheveux longs et blancs. Il jetta un bref coup d'oeil vers la jeune femme, qui le regardait, le visage fatigué. Et il prit la route du quartier est.
...
Il fit quelques pas sur son chemin, mais Rodrakaset se leva rapidement. Il ne l'avait pas vue ? Non, plutôt, contrairement à elle, il n'est peut-être pas le style à aborder n'importe quoi, ou n'importe qui ? Ou il est timide ? Ou il a un rendez-vous ? Enfin, peu importe... Il s'éloignait ! La jeune femme rangea rapidement ses affaires qui trainnait, ferma son sac et descendit de son trône. Il n'était pas très loin ... Comment faire pour attirer son attention ? Ah, mais bien sûr ! Rodrakaset n'avait nullement envie de courir. Faire du sport ? La bonne blague ! Elle regarda par terre et trouva un petit caillou. Parfait, parfait, pensa-t-elle. Elle s'abaissa et le ramassa avant de le regarder de plus près. Un vulgaire caillou sans intéret, rien de plus banal. Elle regarda le chevelu, et jeta le caillou en sa direction, visant son épaule gauche.

Ah.

Dommage que je sais pas viser.

C'est donc sur la tête de notre bonhomme que l'objet ricochat. Ce n'était pas voulu, mais bon, on n'y pouvait rien si elle visait vraiment comme une bouse. Elle adopta une voix radiueuse et un sourire qui l'est tout autant et lui lança :

Xerces ne tarda pas à se perdre dans ses élucubration mentales alors qu'il commençait à marcher. Où trouver l'homme qu'il cherchait ? Quelle épicerie était la plus proche et lui éviterait de traverser tout le quartier Est ? Qu'allait-il dire à ce type quand il l'aurait retrouvé ? Ces questions ne trouvèrent pas leur réponse, du moins pas ce matin-là, car un petit objet dur heurta l'arrière du crâne de l'argenté. Plaçant une main là où le cailloux l'avait percuté, il fit volte face en braillant et jaugea du regard la jeune femme aperçue un peu plus tôt. 

« Salut salut ! Je t'attendais, si tu veux tout savoir. »

Pour être honnête, notre homme eut une pulsion un peu meurtrière sur le moment. Putain de merde, d'où elle lui balançait un galet dans la tête comme ça ? Il fronça les sourcils et s'apprêta d'ailleurs à gueuler sur l'inconnue, avant de refermer la bouche en soupirant longuement. Il se contenta de lui jeter sur un ton peu engageant, remettant ses mains dans ses poches ;

« Qu'est-ce que tu m'veux ? »

Qui était cette personne ? L'aurait-il déjà rencontré et l'aurait-il oublié ensuite ? C'était le soir où il avait été saoul dans le bar après son arrivé, c'était ça. Cette jeune femme devait être celle dont il s'était ouvertement moqué, et elle revenait pour lui faire la peau avec une équipe de gros bras qui allaient sortir de leur planque d'une seconde à l'autre. Ou alors il avait couché avec elle sans s'en souvenir à cause de l'alcool ? Oh putain de merde... Elle était enceinte et venait lui demander de l'argent, une pension, un logement et...

Xerces se mit une claque mentale et redescendit de son petit nuage de paranoïa. Non mais franchement, il n'y avait aucune raison de se faire peur pour ça. De toute façon il ne se rappelait pas d'elle, alors aucune chance que tous les scénarios imaginés soient valables. Il avait juste à attendre qu'elle lui explique pourquoi elle l'avait attendu en bas de son immeuble ce matin.

« Qu'est-ce que tu m'veux ? »

Comme elle se l'imaginait, c'était le genre d'homme attentionné, adorable, poli, qui dit bien bonjour, qui  reste amical et souriant en toutes circonstances. Hahahaha. Quelle bonne blague... Mais en même temps, elle le comprenait un peu. Recevoir un objet inconnu dans le crâne, c'est pas toujours la choses la plus agréable qui puisse nous arriver dans la journée. Dans un sens, elle comprenait même sa réaction. Enfin, il n'y a pas grand monde qui jetterai des cailloux pour appeller quelqu'un. Il avait un visage radieux, celui-là.

« Et toi, qu'est ce que tu vas faire, bonhomme ? »

Comment allait-il réagir ? Faut l'avouer, peu de monde va aller questionner un total inconnu comme ça dans la rue. Elle lui aurait bien posé une question plus précise, mais elle ne savait même pas s'il allait faire quelque chose. Et pour elle, le bluff, elle évite. Pourquoi ? Son éternelle malchance finis toujours par lui retomber dessus, à un moment ou à un autre.
Après, Rodrakaset se demandait aussi comment il prendrait sa question. Dans le sens tu vas faire quoi, il y a deux cas possible majoritaires : soit il dit ce qu'il allait faire, soit il allait lui en mettre une. Bon, les trois quarts des gens lui renverraient quelque chose, mais ce bonhomme avait l'air d'un gars pas très ordinaire. Attendant sa réponse, la jeune femme affichait un sourire radieux sur son visage.

L'hybride ne quitta pas son interlocutrice des yeux lorsqu'elle lui répondit. D'ailleurs, son regard se fit plus dur alors qu'il fronçait d'avantage les sourcils.

« Et toi, qu'est ce que tu vas faire, bonhomme ? »

Te foutre mon poing dans la gueule, madame. Ce fut sa première pensée en entendant la question. Parce qu'au final elle l'accostait sans raison après lui avoir jeté un cailloux sur la caboche et elle ne répondait même pas à sa simple interrogation. Il avait bien l'impression qu'elle se foutait royalement de lui et qu'elle l'avait abordé dans l'unique but de lui faire perdre son temps. Il eut un peu de mal à refréner ses nerfs, mais si elle était bien là pour le faire chier il ne voulait pas lui donner gain de cause si rapidement.

Il s'approcha alors dans sa direction et la regarda de haut avec son air mauvais. Honnêtement, il ne savait pas dans quel sens il devait prendre sa question. Ni même s'il devait y répondre. C'est un sourire des plus arrogants et malsains qui se dessina sur ses traits à cet instant tandis qu'il conservait sa posture qui se voulait imposante.

« Le mieux serait que tu me répondes en premier, tu ne crois pas ? »

Jouer au con avec les gens qui l'importunent ? Il adorait ça, dans le fond. Et il n'en avait cure que ça paraisse profondément immature. Si cette demoiselle n'était pas décidé à cracher le morceau, il ne se donnerait pas la peine de perdre son temps avec elle.

Le sourire qu'elle lui offrit en retour provoqua un tic nerveux sur son visage. Bon, au moins c'était clair qu'elle avait l'intention de le titiller. Et aux premiers abords ça le faisait bien chier, parce qu'il a horreur qu'on se paye sa tête. Seulement voilà, intérieurement, tout au fond, la situation à première vue emmerdante commençait à lui plaire. Parce que Xerces aime bien les gens qui savent jouer et provoquer. Et parce que cette inconnue semblait être ce genre personne.

« Je ne t'ai encore jamais vu avant. Enfin si, je t'ai déjà croisé. Mais qui tu es, ça m'est encore inconnu. D'où ma présence actuellement. »

C'était une réponse pour le moins intrigante. Il n'avait jamais été confronté à une pareille altercation auparavant, parce que ce n'est pas courant d'être abordé par quelqu'un juste « parce qu'on ne se connait pas » et encore moins avec un lancé de cailloux dans le crâne. Cela modifia son sourire en quelque chose de beaucoup plus amusé et moins agressif.

« Oh. »

Ce fut son unique réponse avant qu'un ricanement moqueur ne franchisse la barrière de ses lèvres. Il se recula ensuite d'elle et fit demi-tour pour reprendre sa route initiale.

« Je vais acheter du soda, puisque tu voulais savoir ce que je compte faire. Et je préférerais connaitre ton nom avant de te donner le mien. »

Tout en disant cela, il s'éloigna dans la rue, l'invitant officieusement à l'accompagner si bon lui semble puisqu'elle semblait s'intéresser à sa personne. Tant pis, il chercherait l'homme mystère un autre jour. Après tout, il ne risquait rien à faire un bout de chemin avec elle jusqu'à l'épicerie la plus proche, n'est-ce pas ?

Il remarqua qu'elle avait prit sa suite et qu'elle était donc décidée à l'accompagner. Elle avait l'air plutôt obstinée mine de rien, pour le suivre dans un trajet aussi chiant que celui d'aller faire les courses. Mais quelque part, c'est justement ce qui l'intriguait. Que cherchait-elle réellement à savoir sur lui pour paraître aussi insistante ? Ce n'était pas comme s'il était quelqu'un d'important dans cette ville. Il n'était qu'un habitant parmi les autres, un habitant qui se fait tout petit et qui préfère agir dans l'ombre que faire éclater des rumeurs à son sujet. Est-ce que tout ceci avait un rapport avec la récente réunion sur la place publique ? L'avait elle vu ce jour là quand il s'était enfui de la foule en direction du rouquin ? Peut-être qu'elle faisait partie du gouvernement derrière son air innocent. Peut-être qu'on l'avait envoyé récupérer des informations sur ses projets quant à cette affaire d'état. Il lui faudrait être prudent...

« Rodrakaset... »

Il tourna rapidement la tête vers elle, puis se re-concentra sur le trajet. C'était un prénom plutôt étrange tout de même. D'ailleurs ça ressemblait plutôt à un pseudonyme. Mais il ne la connaissait pas et il n'avait jamais entendu ça avant. Il décida donc de jouer le jeu et déclara à son tour ;

« Xerces. »

Il tourna au coin de la rue bordant le quartier est et repéra la petite épicerie qu'il voulait. Après un bref regard dans la direction de son interlocutrice, il entra dans la boutique et lui tint la porte pour la laisser passer à son tour. Et puis il continua d'un ton des plus détachés, comme si la situation était normale. Il n'avait pas envie d'attirer l'attention de qui que ce soit en ville.

« Je ne vois pas pourquoi je t'intéresse autant. Je n'ai rien à voir avec quoi que ce soit qui se passe ici. J'essaye de ne pas me mêler des affaires importantes. Je veux juste vivre tranquille et qu'on me foute la paix. »

C'était un demi-mensonge au final. A l'origine, il n'avait vraiment pas envie de fourrer son nez dans les histoires d'état et il préférait rester à l'écart, quitte à n'être jamais au courant de rien. Mais depuis la réunion sur la place, il n'avait pas pu faire comme si de rien était et ignorer tout ça. Toutes ces questions qu'il s'était posé depuis son arrivée, tous les doutes qu'il avait, ce mystérieux M semblait pouvoir y répondre.

L'argenté avança dans les rayons et fronça les sourcils alors qu'il comparait les prix des différents articles. Ouais, c'était quand même pas donné pour un simple pack de six canettes... Mais il avait assez de monnaie pour ça heureusement. Il jeta un coup d'oeil à son interlocutrice lorsqu'elle reprit la parole.

« (...) Même les coups de feu de l'autre jour ne t’intéressent pas ? »

Et il se crispa très légèrement à cette question. Comment répondre à ça sans dévoiler clairement son opinion à propos de la politique de cet endroit ? De toute façon, ça ne l'engageait à rien par rapport à ce mystérieux M. Il pouvait très bien détester une partie de la population sans forcément aimer son opposé.

« T'es une fouine du gouvernement ? Ça m'aurait étonné tiens.. »

Son ton était désinvolte et râleur. On ne pouvait pas dire qu'il avait fait dans la dentelle en disant cela. Mais tant pis, il méprisait au plus haut point toute forme d'autorité, tous ces coincés de première juste bons à écraser les autres sous leurs dictature. Oh non, Anadran n'était pas bien différant du monde réel sur ce point...

Il soupira d'agacement et prit le pack de canettes avant de se diriger vers la caisse, la laissant terminer ses emplettes mais la laissant surtout sans réponse claire à sa question. Franchement, il sentait que s'il en disait trop il allait s'attirer de sérieux ennuis. Il sortit la monnaie de sa poche et paya ses boissons, quittant ensuite le magasin après avoir salué brièvement le vendeur d'un signe de tête. Il attendit que la jeune femme le rejoigne, sortant un paquet de cigarette de sa poche pour en allumer une.